Appel à l’action collective de Slow Food international

Le monde est en pleine crise. Publiés à une régularité effrayante, les rapports des Nations unies
affirment que, si nous ne réduisons pas les émissions de C02 de 45 % d’ici 2030 , la civilisation
humaine risque de disparaître. La destruction et la dégradation des écosystèmes, la perte de
biodiversité, les flux ininterrompus de réfugiés, l’affaiblissement des institutions démocratiques, la
concentration du pouvoir dans les mains d’une élite réduite, le chômage croissant et la coexistence
paradoxale de la famine et de l’obésité s’aggravent jour après jour, de façon alarmante. Cette
situation dramatique est symptomatique d’un modèle inadapté et insoutenable, basé sur l’illusion
d’une croissance infinie et sans limites. Un système qui domine le monde et risque de nous réduire
à une espèce en voie d’extinction, comme le prédisait déjà le Manifeste Slow Food il y a trente ans.
Si on arrête la croissance, le système s’effondre. Si on la poursuit, l’humanité dévore ce qui reste
des ressources de la planète. C’est là tout l’enjeu de notre époque.
Mais NOUS sommes prêts à affronter ce moment historique et à faire émerger notre modèle
alternatif.
Nous nous y préparons depuis longtemps. Nous avons planté les graines du changement dans
le monde entier, à travers des projets, communautés et leaders capables d’inspirer les autres.
Nous avons créé des lieux de rencontre sociale pour apprendre ensemble à construire un monde
meilleur à travers le partage d’expériences, la découverte de méthodes différentes et la réciprocité.
Chacun d’entre nous détient à sa façon le pouvoir de créer le changement, de remporter des
batailles, de développer de nouveaux modèles pour l’avenir. Nous pouvons aider les autres à
passer du statut de consommateurs passifs à celui de citoyens actifs, en reprenant le contrôle de
leur existence. Ensemble, toutes ces pièces contribuent à former le puzzle de l’avenir dans lequel
nous souhaitons vivre.
Malheureusement, alors que nous devenons de plus en plus forts, le système contre-attaque et
devient plus agressif. Heureusement, d’autres composantes de la société civile nous rejoignent
pour concevoir ensemble cet avenir. Il ne faut donc pas désespérer : ce sont des géants, mais
nous sommes des millions. Alors que la situation devient de plus en plus urgente, continuons à
construire cet espace social qui offre à chacun d’entre nous la possibilité de connaître le passé et
de projeter le futur.
Que sont devenues ces graines semées dans le monde entier ? Regardons autour de nous : elles
ont germé et fleuri. Où que nous soyons, nous ne sommes pas seuls. Nous faisons partie d’un
véritable réseau mondial. Et si défendre la biodiversité, diffuser l’information et prendre position
est très important à l’échelle locale, c’est en partageant des histoires, des connaissances et des
projets venus du monde entier, en formant des liens, qu’on progresse. Le Manifeste Slow Food
nous rappelle qu’agir seul ne suffit pas : l’urgence des enjeux qui caractérisent les dix prochaines
années nous obligent à travailler ensemble, dans la paix et l’harmonie, et de façon plus stratégique.
Pourquoi l’alimentation est-elle un facteur stratégique ? Parce qu’elle représente le problème
transversal le plus important de notre époque. En examinant les 17 objectifs de développement
durable des Nations unies, on constate que l’alimentation joue un rôle déterminant dans chacun
d’entre eux. En partageant nos connaissances étendues au sein du débat international sur l’avenir
de notre planète, nous diffusons également l’esprit de Slow Food. Nous devons admettre que
l’alimentation est à la fois la victime et la cause de la crise climatique et écologique, tout comme
des autres crises internationales. Le fait que l’impact positif de nos activités fasse écho aux objectifs
de développement durable nous aide à communiquer notre message le plus important, mais
également le plus délicat : dans le contexte de crise actuelle que nous traversons, l’alimentation
est à la fois victime, cause, mais également une solution possible.
L’AVENIR QUE NOUS SOUHAITONS
Avec la contribution de tous, nous pouvons imaginer ensemble un avenir différent. Notre devoir
est de travailler à la transformation du système alimentaire, en garantissant une alimentation
BONNE, PROPRE et JUSTE POUR TOUS.
Nous souhaitons un avenir où l’humanité serait fortement liée aux écosystèmes résilients qui nous
entourent, dans le respect et la valorisation de la diversité des personnes, des cultures, des lieux,
des aliments et des goûts. Le système alimentaire change, car nous changeons.
Nous expérimentons tous, dans notre quotidien, les prémisses du monde que nous souhaitons : les potagers sont des plateformes d’apprentissage intergénérationnel ; les communautés de
producteurs transforment et valorisent des produits autrement relégués au statut de ressources
économiques ; les marchés d’agriculteurs mettent en relation le tissu urbain et rural ; les
campagnes de sensibilisation partent de l’alimentation pour promouvoir des questions sociales et
environnementales majeures ; les rencontres et évènements organisés rassemblent des personnes
de tous les milieux et tous les âges. Les cuisines deviennent des espaces sociaux d’éducation, de
réflexion et de partage pour reconstruire un nouveau type d’échange à partir de l’alimentation.
Autre élément crucial, nous défendons durement la joie de vivre et la justice, les politiques qui
défendent notre multitude contre la poignée de trouble-fêtes qui souhaitent transformer le
bonheur et la vie en marchandises.Nous devons construire des systèmes alimentaires capables de résister à l’adversité
environnementale et sociale. Face à la complexité considérable des systèmes alimentaires à l’échelle
mondiale, nous ne pouvons miser sur une seule stratégie. Toutes les inspirations, idées et passions
qui permettent aux communautés et aux individus de contribuer à rendre notre économie plus
circulaire et à rétablir l’équilibre de notre société sont donc les bienvenues :
Pour améliorer notre impact et notre efficacité, il ne faut pas limiter la portée de nos efforts, mais
agir de manière plus stratégique. Agir à l’échelle locale, mais communiquer à l’échelle mondiale.
C’est ainsi que nous devons construire notre réseau.
Nous sommes plus qu’un simple réseau : nous apprenons jour après jour à nous organiser en
créant des relations réciproques et durables de confiance et de respect, au sein des écosystèmes
et dans les échanges internationaux qui nous entourent.
C’est justement cette particularité qui nous distingue des autres organisations. Nous sommes par
exemple attentifs à notre approche du thème de la biodiversité, sans nous limiter à cataloguer
les aliments en voie de disparition : nous cherchons à diffuser la biodiversité en la confiant aux
mains de ceux qui la protègent et la considèrent comme partie intégrante de leur quotidien. Nous
faisons grandir cette biodiversité, pour la mettre sur les étals de marché, la déguster. Manger la
biodiversité est une action décisive pour la sauver. Les organisations s’adressent aux communautés,
principalement lorsqu’elles recherchent approbation et soutien. Nous, au contraire, SOMMES déjà
une communauté en soi. Nos rapports humains, riches de différences, ne décrivent pas seulement
notre façon de travailler, mais surtout notre façon d’être. Regardons autour de nous : qui manque
de nourriture ? Qui décide ? C’est en se posant ces questions-là que nous pourrons travailler plus
intelligemment.
Notre organisation manifeste joyeusement son respect pour la vie, l’émancipation, les droits
humains et les libertés individuelles. L’empathie envers le monde vivant et la solidarité vis-à-vis
de tous les habitants de la planète, et notamment des plus vulnérables et de ceux qui sont le plus
touchés par la crise mondiale, sont pour nous des principes fondamentaux. Parmi ces personnes,
on retrouve les communautés indigènes, les femmes et les jeunes, trop souvent victimes d’abus de
pouvoirs et qui ont dû mal à trouver leur place.
Nous croyons qu’il est essentiel de rassembler les voix, différentes mais nombreuses, qui expriment
un changement du système alimentaire, avec leurs paroles et leurs actions, sur chaque territoire.
Nous développons tous des compétences spécifiques, dans notre vie quotidienne. Nous sommes
une multitude d’agriculteurs, pêcheurs, chefs, éducateurs, techniciens, enseignants, journalistes,
militants, écrivains et simples consommateurs. Nous jouons tous une part dans les milliers
de petites décisions routinières qui peuvent, une fois réunies, donner naissance à un système
alimentaire plus vertueux. Nous défendons la diversité de la nature qui nous entoure, et puisons
notre énergie dans la diversité du réseau Slow Food.
• Biodiversité
• Diversité des cultures alimentaires
• Souveraineté alimentaire
• Sécurité alimentaire
• Défense des biens communs
• Agroécologie et durabilité
• Énergies renouvelables utilisées pour la production alimentaire
• Agriculture familiale
• Petites communautés de pêche locale
• Bien-être animal
• Alimentation locale
• Filières courtes et transparentes
• Dialogue interculturel et intergénérationnel entre les savoirs des communautés et des scientifiques
• Qualité de vie de la société rurale
• Agriculture urbaine
• Agriculture sociale
• Santé et bien-être

__________________________________________
NOUS SOMMES UN RÉSEAU MONDIAL DE COMMUNAUTÉS LOCALES

OBJECTIFS STRATÉGIQUES
En 30 ans, notre réseau s’est diffusé dans 160 pays. Slow Food est désormais implanté dans presque
tous les pays du monde. Ensemble, apprenons à jongler entre la tyrannie des géants et la beauté
des petits, deux réalités qui coexistent. Même si notre système peut sembler fragile face aux
dimensions démesurées du modèle agro-industriel, il est en fait très résistant : lorsque les crises
se multiplieront et deviendront de plus en plus sérieuses, ce modèle survivra, car il est plus solide.
Il suffit d’interroger ceux qui ont choisi de cultiver, vendre, éduquer, cuisiner et vivre en respectant
ce qui les entoure : leur qualité de vie est bien meilleure. Malgré tout cela, les enjeux urgents de
notre époque nécessitent plus de confiance, de concentration et de détermination, nous obligeant
à entrer en contact avec le reste du monde à travers des engagements, des actions et des projets
définis par les trois objectifs clés suivants : défendre la biodiversité ; éduquer le monde qui nous
entoure ; soutenir nos causes et influencer les institutions publiques et le secteur privé.
Pour défendre la biodiversité, nous allons au-delà de la diversité biologique des
végétaux et des animaux, en nous préoccupant également du rapport entre
homme et nature, des connaissances à l’origine des milliers de techniques qui
ont permis de transformer les matières premières en pain, fromage, charcuterie,
pâtisserie, etc. Pour nous, la biodiversité commence par le minuscule et inclut tous
les êtres microscopiques qui font vivre nos sols et nos aliments. La biodiversité doit
être préservée et valorisée au sein de la société humaine ; c’est pour cette raison
qu’il est également crucial de préserver la diversité culturelle.
• Étudier et répertorier le patrimoine de la diversité biologique et culturelle lié à
l’alimentation (en tant qu’expression du territoire) et identifier les personnes
qui protègent ce patrimoine ;
• Soutenir et promouvoir ceux qui préservent la biodiversité et prennent soin du
territoire, ceux qui adoptent des techniques agroécologiques et des systèmes
d’élevage durables et respectueux du bien-être animal, ceux qui gèrent les
ressources des mers, des fleuves et des lacs sans les appauvrir, ceux qui
défendent une agriculture capable de freiner la diffusion des monocultures
et de la production intensive, et ceux qui luttent contre la concentration du
pouvoir ;
• Créer des opportunités de dialogue et d’échange, y compris commercial,
entre ceux qui travaillent pour amener les aliments de la terre à la table et
ceux qui les consomment.


1. Défendre la biodiversité


C’est en s’éduquant par les sens, en apprenant par l’action et le jeu, qu’on arrive
à comprendre le monde. Ce sont les émotions qui changent les personnes
et renforcent les communautés. Il ne s’agit pas uniquement d’utiliser des
techniques efficaces pour transmettre les connaissances, mais surtout de faire de
l’apprentissage un acte relationnel : chacun d’entre nous est à la fois enseignant
et élève. En suivant cette approche, nous souhaitons promouvoir les meilleures
pratiques qui existent dans le monde et souligner le lien fort entre la santé de la
planète et la nôtre.
• Développer du matériel de communication, lancer des campagnes pour
mieux sensibiliser la population au système alimentaire et encourager un
changement de comportement ;
• Concevoir et mettre en œuvre des activités d’éducation et de formation et
des expériences qui améliorent notre connaissance de l’alimentation, de
la production à la consommation, jusqu’au tri des déchets, en cherchant à
influencer les comportements et les choix des personnes ;
• Concevoir et mettre en œuvre des activités d’éducation et de formation
pour ceux qui travaillent dans le secteur alimentaire, afin de valoriser ceux
qui appliquent des changements positifs dans les phases de production,
distribution, promotion et consommation alimentaire, ou de lutte contre
le gaspillage.


2. Éduquer le monde qui nous entoure

Soutenons l’idée d’un monde dans lequel nous souhaitons vivre. Nous voulons
impliquer à la fois le secteur public et le privé, en cherchant toujours la bonne
direction pour savoir comment et avec qui nous pourrons construire un avenir
meilleur. Il est important de comprendre que nous n’y arriverons pas seuls. Nous
devons créer des liens avec d’autres acteurs de la société civile pour défendre ceux
qui sont le plus affectés par le système alimentaire industriel. C’est un combat que
nous devons mener pour les autres et avec les autres. Nous sommes des millions.
• Influencer à tous les niveaux les institutions publiques et le secteur privé,
pour donner naissance à des politiques et modèles qui soutiennent des
systèmes justes et régénérateurs de production, distribution, promotion,
consommation et gestion des déchets ;
• Informer, impliquer et mobiliser les individus et l’ensemble des communautés
pour qu’ils soutiennent cette transition nécessaire vers des politiques justes
et durables ;
• Former des alliances avec ceux qui défendent les mêmes objectifs ;


3. Soutenir nos causes et influencer les institutions publiques et le secteur privé :


Nous devons identifier ensemble nos objectifs et nous engager à fond pour défendre ces trois
objectifs, dans le contexte dans lequel nous vivons et travaillons. Nous devons être attentifs et
souples, car des objectifs transversaux peuvent émerger. Certains sont déjà bien visibles, tels que
la communication. Nous devons communiquer avec plus de transparence, être plus ouverts. Après
tout, nous sommes un mouvement ! Jusqu’à présent, nous avons concentré notre attention sur nos
membres, mais aujourd’hui nous devons être attentifs à toutes les personnes qui nous soutiennent
et nous écoutent, et qui souhaitent, comme nous, un monde différent, et arriver à communiquer
dans le plus de langues possible, y compris des langues locales. L’autre question transversale est
le financement de nos actions. Nous devons améliorer nos stratégies et diversifier l’origine de nos
ressources à tous les niveaux. Ce sont également des instruments nécessaires pour préparer le
monde dans lequel nous souhaitons vivre.


DEVENIR LE MOUVEMENT DE L’ALIMENTATION
30 ans après la signature du Manifeste Slow Food, le monde a complètement changé. Notre
message est passé d’une question marginale à un thème central de notre vie. Parlez-en à n’importe
quel agriculteur, vigneron, producteur de fromage ou pêcheur qui a traversé les bouleversements
de la société depuis 1989. L’imaginaire collectif concernant la cuisine traditionnelle, le respect
envers ceux qui travaillent dans les champs ou vendent à manger sur les marchés et dans leurs
commerces et les opportunités de devenir artisan ou agriculteur sont de plus en plus nombreuses
et importantes. Le système alimentaire est RÉELLEMENT en train de changer !
En revanche, l’effet domino de la crise actuelle s’accélère. Nous pouvons difficilement travailler plus
dur, mais nous pouvons travailler mieux. En nous impliquant davantage dans ces trois domaines
stratégiques qui nous concernent tous, nous pouvons rendre notre travail plus stratégique, et
développer des actions en gardant bien à l’esprit les objectifs que nous voulons atteindre.
Nous sommes un réseau vaste et diversifié. Ne nous limitons pas à représenter la multitude : nous
SOMMES la multitude, et nous pouvons devenir LE mouvement alimentaire global.
Ce document est un appel urgent à l’action collective. Mais il constitue avant tout un instrument
pour mieux identifier et cibler les engagements à prendre les uns envers les autres pour devenir
plus efficaces.

Joignons nos forces pour défendre notre alimentation, notre planète, notre futur !